Écouter Eclipse (1972). Pièce composée par Brian Cherney. Interprétée par Mary Morrison (Soprano), Robert Aitken (Flutiste), Marion Ross (Pianiste).
Eclipse (1972) est une œuvre pour soprano, flûte et piano commandée par le Lyrics Arts Trio mettant en vedette la soprano Mary Morrison, le flûtiste Robert Aitken et la pianiste Marion Ross. Le texte est tiré du poème « Fun and Games » (1967-68) de Brian Henderson. La pièce est très exigeante, représentant un défi pour les musiciens à plusieurs niveaux, notamment concernant les techniques supplémentaires détaillées par Cherney. Par exemple, en plus des exigences techniques exceptionnelles envers le pianiste, toutes les parties de l’instrument sont utilisées par les trois musiciens à travers la pièce, comme le couvercle du clavier, les supports de métal à l’intérieur du piano, et les chevilles en métal retenant les cordes du piano. D’ailleurs, les cordes à l’intérieur du piano sont également utilisées. Elles sont pincées pizzicato ; sont grattées comme sur une harpe ; sont percutées légèrement comme sur un tympanon, mais avec des dés à coudre au bout des doigts au lieu de petits marteaux ; elles sont également frappées avec des maillets et avec les paumes des musiciens ; les cordes graves sont raclées avec des épingles à cheveux et des trombones afin de créer une texture percussive dense et discordante.
À travers la pièce, les musiciens utilisent en outre une variété d’instruments percussifs avec et sans hauteurs fixes, incluant de petits gongs, des triangles, des cymbales de doigts, des maracas, des carillons en bois, une cloche à vache, des crotales à hauteurs fixes et un glockenspiel.
Les matériaux musicaux principaux sont tirés d’une petite sélection de figurations et de concepts mélodiques utilisés à travers les sept mouvements. Ceux-ci reflètent l’imagerie nocturne et onirique du texte et servent à unifier la pièce. Un tel motif mélodique est une figuration brève et fragmentaire faite d’une constellation de hauteurs caractérisées par de grands sauts d’intervalles couvrant par moments les extrêmes du registre des instruments et de la voix, une mise en rythme libre et un contraste de dynamiques. Parfois, cette « constellation de motifs » paraît douce, furtive et délicate, alors qu’à d’autres moments, elle est bruyante, fougueuse et spasmodique. Ceci évoque le miroir réfléchissant et l’imagerie autour de l’eau, tout comme le symbolisme d’une mémoire et de rêves fragmentés du texte. La constellation de motifs est contrastée avec un motif caractérisé par les pulsations rythmiques à des intervalles de temps plutôt réguliers, généralement sur une note, ou alternant entre deux notes. À chaque occurrence, la fréquence de ces pulsations rythmiques n’est jamais la même, ainsi il n’y a pas de « progression » au niveau du passage du temps. Plutôt, le « motif pulsatif » sert à déséquilibrer et suspendre la perception temporelle de l’auditeur, reflétant les références au temps fragmenté et suspendu dans le texte. Il y a également plusieurs sections « d’ombres » distinctes à travers la pièce, dans lesquelles le momentum musical est temporairement suspendu et où les matériaux précédents sont rappelés d’une manière vague et onirique. Les sections d’ombre sont notées comme des réminiscences de fragments musicaux de sections précédentes, largement séparées et nuancées, avec des degrés variés d’opacité, indiquant le niveau désiré d’obscurité des matériaux. Les sections d’ombre apparaissent souvent comme des transitions entre des sections de matériaux musicaux plus définis, ou elles interrompent le flot d’une texture musicale autrement continuelle. Dans les trois parties, l’usage du chuchotement et de la récitation est également distinct, faisant écho et prévoyant des fragments du texte chantés par la soprano, évoquant le ton généralement mystérieux du poème, ainsi que l’absence de progression linéaire d’une scène à la suivante. Finalement, l’utilisation particulière à travers la pièce de percussions accordées et désaccordées combinée au célesta, le registre le plus élevé du piano, les cordes à l’intérieur du piano, et la flûte, crée une texture scintillante et fantaisiste. Généralement, la pièce est caractérisée par un changement constant au niveau des textures, des dynamiques, des timbres, des registres, et par une instrumentation rehaussant la nature perturbante du texte. Le résultat pour l’auditeur est un environnement déstabilisant, en fluctuation constante, où il n’y a pas de sens de la progression et aucune destination, reflétant la nature onirique et furtive du texte.
La pièce est divisée en sept mouvements dans lesquels Cherney intègre des passages entièrement notés avec des passages notés graphiquement et librement improvisés. Les passages les plus élaborés et prolongés d’improvisation structurée prennent place dans le mouvement IV, le centre de la pièce. Le mouvement IV commence avec une dynamique douce et contrastante, le son délicat du célesta et le motif pulsatif apparaissant dans un échange entre la flûte et le célesta, contrastant directement avec les rythmes bruyants, spasmodiques et irréguliers et les contours des constellations de motifs de la section précédente. Simultanément, la soprano fredonne, comme pour elle-même, alors qu’elle improvise librement au glockenspiel. L’instrumentation – le ton résonnant du célesta et du glockenspiel, ainsi que la flûte et la soprano au registre le plus aigu – rehausse la nature saugrenue du texte à ce moment. Les pulsations rythmiques du célesta et de la flûte accélèrent graduellement et se transforment en des sons désaccordés, résultant en une fragmentation de la ligne mélodique au célesta et une utilisation accrue de sons injectés d’air et percussifs à la flûte. Ceci sert de transition en une structure improvisée présentant quatre sections notées à l’intérieur de quatre cercles se chevauchant. Les trois premiers cercles présentent des matériaux motiviques qui, lorsque pris ensemble, peuvent être considérés comme un épisode continuel librement improvisé. Toutefois, ceci est brièvement interrompu par des sections d’ombre où les cercles s’enchâssent dans la partition. Dans les sections d’ombre, Cherney demande un écho confus de matériaux précédents, où chaque section d’ombre est cumulative de tous les cercles précédents. Ceci culmine au quatrième cercle, où les matériaux des trois premiers cercles sont réunis en un épisode onirique et nébuleux.
Ceci mène à une autre improvisation structurée présentant trois différentes marches à suivre, remplies de matériaux, pour chaque musicien. La séquence des événements pour chaque partie est indiquée avec des lignes pointillées traçant une voie à travers la partition. La partie la plus intéressante visuellement, et la moins structurée des trois, est celle de la flûte, contenue à l’intérieur d’un croissant au milieu de la page. On peut reconstituer une séquence ordonnée des événements à partir de leurs emplacements dans le croissant. Toutefois, Cherney laisse au flûtiste le soin de choisir ce qu’il joue, ainsi que les moments où il joue. Cette section particulière demande de chaque musicien des techniques poussées, comme l’utilisation de l’intérieur du piano, l’utilisation d’instruments de percussion avec et sans hauteurs fixes, ainsi que du texte récité et chuchoté. Ceci mène à une section complètement écrite qui termine le mouvement.