En tant que compositeur, interprète, improvisateur, auditeur et éducateur, l’intérêt musical de Joe Sorbara se situe principalement dans l’exploration d’un entre-deux, c’est-à-dire de l’espace entre la musique librement improvisée ou spontanément composée et la musique pré-composée. En particulier, il explore la gamme des qualités, des degrés et des types de libertés et de restrictions qui existent dans cet espace interstitiel – un intérêt qui donna naissance à Ferris Wheels and Other Childish Nonsense 2008, une composition créée en premier lieu pour appuyer l’apprentissage et le potentiel de création musicale de l’Ensemble de musique contemporaine de l’Université de Guelph.
Bien que Sorbara, depuis des années, incorpore symboles et notation graphique dans ses compositions, c’est la première fois qu’il compose un morceau tout en notation graphique et qui constitue de ce fait une partition graphique complète. Développée et structurée dans le but d’aider les interprètes à déchiffrer la partition, cette notation fournit des explications alternatives et des détails à propos de certains gestes et techniques sonores. On retrouve, par cette démarche, le souci de Sorbara d’offrir à des individus de toute expérience ou formation musicale la possibilité d’établir un lien avec son projet et d’accorder à chaque artiste l’occasion de répondre de façon individuelle, créative et originale.
Sorbara voit ses partitions comme des parcours d’obstacles (sans doute plus complexes qu’une ‘carte routière’ linéaire) qui permettent aux musiciens de négocier leur chemin et de naviguer à l’aide de directives visuelles. De fait, il utilise une notation qui puisse communiquer de manière plus simple ses intentions musicales en utilisant des moyens que la notation musicale traditionnelle ou le discours écrit ne peuvent pas aussi bien rendre.
Ferris Wheels and Other Childish Nonsense est écrite pour un minimum de neuf musiciens. Les joueurs sont répartis en trois groupes égaux, avec au moins trois membres par groupe. Au sein de chaque groupe, les musiciens sont ensuite répartis en trois autres groupes : A, B, et C, de manière à ce que chacun des groupes numériques comprennent au moins un membre des groupes alphabétiques. Les parties assignées aux groupes sont indiquées par des couleurs.
Ces groupes sont placés dans trois régions différentes de la salle de spectacle. Leurs entrées initiales dans la salle sont échelonnées pendant les quatre premières minutes du concert. Les musiciens suivent des directives de gauche à droite de la partition tandis qu’un chef d’orchestre leur signale d’autres types d’interventions, celles-ci marquées dans la partition par des indications temporelles approximatives. Dès son entrée, chaque musicien se met à répéter une idée mélodique simple qui est alors reprise par chaque membre de l’ensemble au moment où il/elle entre dans la salle. Tranquillement et les uns après les autres, les artistes se dirigent vers la scène principale et forment leurs groupes. À la fin de la composition, chaque membre se lève de nouveau et se dirige vers la sortie. L’intention de Sorbara est que, grâce à l’entrée échelonnée et la déambulation dans la salle, les musiciens se mêlent au public et, de ce fait, brisent certaines des conventions associées aux concerts traditionnels, notamment les frontières entre musiciens et auditoire.
La partition elle-même comprend surtout des images que Sorbara a trouvées en ligne à l’aide de Google Images en plus de quelques directives écrites et des passages notés de manière traditionnelle. Les images glanées garantissent une certaine indétermination du processus de composition tout comme les différentes images, couleurs et textures sont censées servir d’inspiration pour les interprètes.
Par ailleurs, la partition incorpore une gestuelle de chef d’orchestre tel un petit rectangle qui présente la main droite de George W. Bush en train de faire le geste de trancher (s’adressant au groupe) ; un dessin de bande dessinée d’un doigt sortant de la partition et désignant l’interprète (s’adressant à l’individu) et l’avant-bras droit de l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci (ayant été amputé par des moyens numériques) pour signifier un arc musical, indiquant ainsi les transitions qui vont des séquences improvisées, transitent par les espaces sonores de la Grande Roue, et livrent ensuite le reste de la partition.
En tant que compositeur et percussionniste, Sorbara continue à proposer des parcours pour passer d’un espace sonore à un autre mais aussi à créer des occasions pour explorer la myriade de possibilités qui se trouvent dans les espaces intermédiaires. Ferris Wheels and Other Childish Nonsense est la tentative la plus récente de Sorbara de se déplacer dans des paysages sonores à moyen de différents types de transitions, de mouvements et de textures qui incitent les musiciens à s’aventurer encore plus loin dans l’expérimentation, dans leur pratique musicale, dans l’exploration du potentiel sonore de leurs instruments et de l’espace dans lequel ils jouent.
Ferris Wheels and Other Childish Nonsense a été jouée pour la première fois le 21 novembre 2009 par l’Ensemble de musique contemporaine de l’Université de Guelph à Guelph en Ontario. Elle a par la suite été jouée le 12 décembre 2009 à Somewhere There à Toronto, au cours de la série Leftover Daylight.