Amalgame d’un dévouement tant aux arts visuels qu’aux arts sonores, Paper Pieces (2009) représente l’intérêt profond et l’application créative de Jesse Stewart pour l’exploration des objets et matériaux trouvés et la découverte de leurs potentiels sonore et esthétique. Dans ces morceaux, Stewart fusionne des éléments de composition et d’improvisation tout en explorant l’importance historique et contemporaine du papier dans la transmission des idées musicales.
Dans Paper Pieces, les pages de la partition deviennent les instruments ; tous les sons produits sont générés à l’aide du papier sur lequel la partition est imprimée. Le papier, une pâte de cellulose compressée et séchée produisant ainsi des feuilles flexibles, est le moyen principal par lequel, depuis plus d’un millénaire, les compositeurs et musiciens occidentaux transmettent leurs idées. Il représente littéralement la base sur laquelle les principales données de l’histoire de la musique occidentale sont écrites. Étant donné la présence imposante et irremplaçable du papier en musique, Stewart s’est étonné que si peu de compositeurs et d’artistes aient exploré le potentiel musical du papier en tant que tel. Paper Pieces cherche à combler cette lacune, servant de réflexion méditative non seulement sur le papier mais aussi sur l’histoire des formes écrites de la musique ainsi que celles qui demeurent non-écrites, notamment les formes improvisatrices.
Chez Stewart, composer en notation graphique est souvent une décision pragmatique. Il utilise régulièrement des formes de notation graphique variées dans ses projets, souvent par manque d’autre forme adéquate pouvant représenter ce qu’il cherche à communiquer par voie musicale. Fréquemment en formes écrites (littéralement en forme ‘graphiques’), les partitions de Stewart décrivent les gestes sonores et les techniques impliqués dans le morceau de façon plus descriptive que prescriptive. Par conséquent, Paper Pieces établit un certain nombre de paramètres musicaux en fonction desquels les interprètes sont libres de définir leur propre expérience musicale avec le papier.
Comprenant douze feuilles de papier de dimensions 8 ½ par 11 placées à l’horizontal, la partition inclut toutefois une stipulation permettant sa reproduction sur des feuilles de toute taille et épaisseur. De plus, la partition indique que Paper Pieces peut être interprétée par tout individu ou tout groupe d’individus ayant ou non une formation musicale, y compris les membres de l’auditoire. Ainsi, l’œuvre déstabilise les relations et les hiérarchies établies entre composition, interprétation, et réception, donnant de fait aux interprètes (et potentiellement aux membres de l’auditoire) un pouvoir de décision considérable dans la façon que se déroulera le morceau. Chaque feuille de papier comprend des directives écrites indiquant des trajectoires d’action sonore possible. Une fois jouée, chacune des douze feuilles de papier qui constituent la partition originale forme alors une partie de la dimension visuelle de l’œuvre. Avec Paper Pieces, Stewart continue ainsi de brouiller les frontières entre arts visuels et sonores, et entre objets trouvés et instruments musicaux.
De par sa nature improvisatrice et indéterminée, Paper Pieces continue le processus de déstabilisation des fonctions de composition et d’interprétation (et même celle de l’auditoire) que l’on peut retrouver dans les œuvres aléatoires de John Cage et Christian Wolff, dans les partitions graphiques de Earle Brown et Cornelius Cardew, et dans les œuvres de Deep Listening de Pauline Oliveros. Ce potentiel déstabilisant est un des aspects les plus puissants du travail de Stewart du fait qu’il impose aux personnes impliquées une refonte des rôles et des relations devenus profondément établis dans la présentation de la musique occidentale. Son travail permet aux interprètes de chercher des sons musicaux dans des endroits inattendus et d’approfondir leur expérience avec le son grâce à une écoute plus ciblée et inclusive.
Paper Pieces a été jouée pour la première fois à Huddersfield en Angleterre le 25 avril 2009 par The Edges Ensemble, où dix-huit musiciens interprétaient la partition simultanément.