Scott Thomson a conçu une série de compositions conceptuellement interconnectées dans le but d’animer des espaces publics et de créer une relation intime et peu conventionnelle entre les musiciens et leur public. Ses partitions sont non seulement graphiques, elles sont aussi cartographiques. Essentiellement, il utilise des cartes géographiques pour établir des relations spatiale et temporelle entre les musiciens et entre les musiciens et l’auditoire. Alors que la plupart des partitions dictent des activités acoustiques sans définir le contexte de présentation (ou en le définissant, à défaut, par convention), les partitions cartographiques de Thomson proposent des lieux et itinéraires aux musiciens et/ou au public et confie la création musicale au talent des improvisateurs pour qui les partitions ont été écrites. Typiquement, Thomson crée un contexte dans lequel les membres de l’auditoire ne peuvent pas entendre la musique dans son intégralité et doivent par conséquent choisir les musiciens qu’ils veulent entendre en utilisant la partition (de fait servant aussi de programme) comme guide. Il est à noter qu’une écoute non accompagnée de partition est toute aussi stimulante. La dynamique du spectacle fournit à chaque auditeur un pouvoir de décision qui ressemble au processus de choix dans lequel les musiciens improvisateurs s’engagent quand ils jouent.
La première composition de la série, MUSIC(in)GALLERIES (produite tous les ans depuis 2006), a lieu dans les devantures d’une douzaine de galeries d’art sur un parcours de deux kilomètres de la rue Queen ouest à Toronto. Le morceau commence par un set de 20 minutes joué par un petit ensemble dans la galerie à l’extrême-est du parcours, avec d’autres ensembles commençant successivement à 10 minutes d’intervalle de façon à ce que chaque set se chevauche. Sans frais d’admission ni besoin de places assises, ce morceau crée une impulsion linéaire pour cette tournée des galeries.
Arborienteering (2007) est liée à MUSIC(in)GALLERIES et présente huit musiciens jouant de courts solos interposés sous différents arbres du parc Dufferin Grove à Toronto. La partition comprend des cartes-info pour les arbres en question (feuillage, écorce, etc.) ainsi qu’un plan qui montre le positionnement des musiciens dans le parc.
Acoustic Orienteering (présentée ici dans sa troisième version) a d’abord été commandée par le festival des arts visuels AlleyJaunt de Toronto en 2007. Dans cette composition, les musiciens se déplacent selon une carte et un horaire. Chaque artiste a un itinéraire différent, mais, inévitablement, leurs chemins se croisent et ils peuvent donc jouer ensemble avant de finir leur parcours. Au festival AlleyJaunt, six joueurs ont parcouru les ruelles derrière les maisons d’un quartier de l’ouest de Toronto. Au Sound Symposium de 2008 à Terre-Neuve douze musiciens ont joué dans le quartier Georgestown de St. John.
Terpischorienteering (2009) a été composée avec Susanna Hood pour douze musiciens et danseurs pour les galeries et corridors du Richmond Building sur la 401 à Toronto. Il est question ici d’amalgamer les concepts de MUSIC(in)GALLERIES et de Acoustic Orienteering d’une façon qui est spécifique au lieu de spectacle et de les adapter pour incorporer non seulement la création musicale mais aussi la danse.
Ces jours-ci, Thomson travaille sur deux commandes : Sonorienteering, pour le Western Front New Music, Vancouver qui sera présenté pour la première fois pendant son séjour de compositeur en résidence en septembre 2009 et Belgorientation : Musique et Danse, qui présentera une trentaine de musiciens et de danseurs dans les galeries et corridors de l’édifice Belgo à Montréal pour célébrer le trentième anniversaire de Productions Supermusique en octobre 2009.
La partition pour Acoustic Orienteering (Guelph) (créée avec l’artiste visuel Michelangelo Iaffaldano) est une série de quinze acétates superposés sur un plan du centre-ville de Guelph. Cette pièce, conçue pour le Guelph Jazz Festival, sera jouée entre autres par Lina Allemano (trompette), Gordon Allen (trompette), Allison Cameron (petites choses), Jean Derome (woodwinds), Christine Duncan (voix), Paul Dutton (voix), Tania Gill (melodica), Joane Hétu (saxophone), Michael Keith (guitare), Jean Martin (saxopette), Nicole Rampersaud (trompette), Evan Shaw (saxophone), Casey Sokol (accordéon), Doug Tielli (trombone), et Tom Walsh (trombone).
Les artistes suivront leur chemin au ralenti pendant les quarante-cinq minutes du morceau ; ils seront libres de jouer ce qu’ils veulent. Bien que chaque personne commence et termine l’itinéraire seule, les chemins sont censés se croiser. Par conséquent, si elles suivent la partition correctement (c’est-à-dire ayant bien lu le plan), elles auront l’occasion de jouer ensemble pendant une minute ou deux. Thomson a pris en compte les contraintes temporelles de manière à ce que des jeux de duos et de trios puissent avoir lieu sans que les artistes prennent du retard. Tant que les musiciens restent relativement ponctuels et fidèles à leur itinéraire, ils parviendront à jouer Acoustic Orienteering (Guelph) au complet.
Les spectateurs de Acoustic Orienteering (Guelph), étant dans l’impossibilité d’entendre toute la musique, doivent donc choisir comment gérer leur écoute. Au Guelph Jazz Festival, des photocopies de partitions faciles à utiliser seront mises à la disposition des auditeurs qui pourront ainsi suivre un musicien en particulier, et soit prévoir des points d’intersection entre musiciens soit trouver un endroit "à grande circulation" pour voir et bien sûr entendre ceux et celles qui passent. Cependant, une approche sans partition, non-dirigée et s’ouvrant au jeu du hasard peut être tout aussi efficace et non des moins encouragées.
Les partitions cartographiques indiquent aux musiciens et au public où et quand la musique doit avoir lieu, mais pas quelle musique doit être jouée. Les pièces de jeu de John Zorn telles que Lacrosse et Cobra, les dynamiques spatiales qui font partie de Licht de Karlheinz Stockhausen et la logique du voyage (réel et métaphorique) dans le modelage tri-centrique d’Anthonty Braxton ont toutes directement influencé cette série. Ces morceaux célèbrent la mobilité et encouragent des réactions enjouées et spontanées de la part des musiciens et du public. Tout auditeur qui a déjà assisté respectueusement à un concert de musique improvisée tout en se demandant avec impatience quand cela allait finir devrait se réjouir du pouvoir de décision et d’action que lui confèrent ces compositions.